Delerm et la manière
Chaque lundi à la Cigale, et en tournée, le chanteur présente un spectacle drôlement intelligent, où prédomine l’univers cinématographique.
«Tous les acteurs s’appellent Terence/ Tu vois un peu l’époque l’ambiance/ Hollywood après guerre piscine bref tu vois/ Dans quarante ans les maquilleuses/ Diront la période fabuleuse…» C’est la même composition qui ouvre Quinze Chansons, le quatrième album de Vincent Delerm, sorti le 3 novembre, et son nouveau spectacle, qui commence à circuler entre Paris, les lundis, et la province.
Or, Tous les acteurs s’appellent Terence se pose là pour situer d’emblée la prégnance de l’univers visuel (cinéma, mais également photo, pub télé), tel qu’il s’affirme plus que jamais sur scène chez celui qui s’est jadis fait connaître en déclarant sa flamme à Fanny Ardant (et moi).
La première rencontre majeure de Vincent Delerm avec le public parisien a eu lieu en 2002 à la Cigale, consacrant sa reconnaissance populaire après qu’on l’eut filé à l’Européen. A l’époque, la formule piano-voix suffisait à faire des étincelles. Depuis, Vincent Delerm a sorti d’autres disques, élargi sa palette sans geste brusque et conservé à peu près intacte (à peine s’il ne donne pas l’impression de vouloir l’entretenir) la fracture entre partisans et détracteurs.
Port d’attache. De tournée en tournée, il a aussi développé une relation fidèle avec la Cigale, au point que la salle de Pigalle fait dorénavant figure de port d’attache où, entre deux virées (Saint-Barthélemy-d’Anjou, Bordeaux, Vichy…), le chanteur accoste à une cadence hebdomadaire. «Il s’est passé des trucs depuis la dernière fois qu’on est venus dans cette salle, ironise d’emblée le chanteur. On avait un autre Président et on ne pensait pas qu’on pourrait faire pire, Laure Manaudou était la sportive préférée des Français…»
Sombre et sobre, la tenue est la même. Mais le style s’est encore affirmé. Affiné, affermi. Dorénavant accompagné de deux musiciens d’une fiabilité égale, Ibrahim Maalouf et Nicolas Mathuriau - qui circulent entre trompette, batterie et claviers -, Vincent Delerm a les coudées franches pour développer un projet qui, deux heures durant, se singularise par un mélange permanent d’intelligence et de finesse.
Habillage. D’une exquise drôlerie, Vincent Delerm aime à cultiver la nostalgie surréférencée (Et François de Roubaix dans le dos, Deauville) pour, mine de rien, mieux décocher quelques flèches dans un registre «engagé» où il n’a pas la réputation de faire son marché («Sur les affiches UMP, il fait si chaud/Les caméras de surveillance/ Il y a du soleil sur la France», Il fait si beau, extrait 2006 des Piqûres d’araignée). Swing léger et fredonnement distingué, que le chœur féminin des anonymes ne demande qu’à investir, sont au service d’une des écritures les plus caractérisées de ces dix ou vingt dernières années.
Vincent Delerm a sélectionné environ vingt-cinq titres pour ce récital 2009, dont un bon tiers extraits du nouvel album. Musicalement, bien que lancée depuis peu, l’affaire tourne déjà rond. Mais c’est au moins autant l’habillage qui marque les esprits. Pour accompagner des chansons qui, souvent, ressemblent à des synopsis, les trouvailles crépitent, du décor et de l’écran, qu’on rechigne à trop dévoiler.
En guise de bande-annonce - cohérente avec la démarche - on dira juste que, chemin faisant, il sera question du lion des studios de la MGM, d’un vrai-faux film muet en noir et blanc admirablement pastiché, et de l’exhumation d’un gisement inestimable de vieilles pubs ciné des années 70 (Bahlsen, Rouen Tapis, les Pépinières de Haute-Normandie à Isneauville…), qui, à l’instar du reste, rendent la fréquentation du concert à peu près essentielle.